31.12.11

Le dernier post


Jean-Jacques Lévêque dans les années 70

C’est avec tristesse que j’ai appris la disparition de l’historien d’art et écrivain Jean-Jacques Lévêque (1931-2011) dont je lisais avec un plaisir chaque fois renouvelé les chroniques érudites et élégantes qu’il publiait sur son passionnant blog « Tribune autour de l’art et de la littérature ». Jean-Jacques Lévêque a été emporté par une crise cardiaque le 5 décembre dernier à l’âge de 80 ans. Ses filles soulignent qu’il était « très fier de son blog » et qu’il « lui a permis de continuer son activité d'auteur, d'amoureux de l'art, et de partager ses curiosités avec vous tous. » Ancien élève de l’Ecole du Louvre, Jean-Jacques Lévêque désirait être archéologue, devint critique d’art, libraire et galeriste. Auteur prolixe (sa bibliographie au catalogue de la BNF comporte 122 notices), il publia de nombreux essais et monographies sur des écrivains et artistes (Antonin Artaud, Piranèse, Caillebotte, Madame de Sévigné, ainsi que la plupart des impressionnistes), mais également sur les périodes phares de l’art moderne dont celle des Années Folles. Il collabora aussi à de nombreuses revues d’art, journaux et magazines (Arts, Nouvelles Littéraires, Quotidien de Paris, Quotidien du médecin, Figaro, Cimaise, NRF), fut chroniqueur pour France Culture et publia deux romans au Mercure de France : Tentative pour un itinéraire et L’aménagement du territoire. Dans les années 80, il sera directeur littéraire aux éditions Pierre Horay où il publia lui-même des essais sur la ville de Paris. Par ailleurs, Jean-Jacques Lévêque était un lecteur assidu du blog Rigaut, il consacrera sur son blog quatre chroniques à l’auteur de Lord Patchogue. Dans son livre Le triomphe de l’art moderne, Les années folles, 1918-1939, paru en 1992 aux éditions ACR, il rédigera un article sur la mort de Jacques Rigaut : « Au terme d’une vie bancale, où la mondanité côtoie la solitude, l’alcool et la drogue les belles manières, et le luxe canaille la politesse des bars cosmopolites, Jacques Rigaut se tue d’une balle dans le cœur. De cliniques en pensions de famille, il avait abouti au terme d’une lente déchéance de l’âme et du corps prématurément usé par l’alcool, la vie nocturne et tous les plaisirs dispensés par une vie libre et mondaine, dans le creuset sombre et romantique de la Vallée aux Loups où flotte un air « d’ailleurs », et d’un autre temps, avec le fantôme de Chateaubriand pour les plus imaginatifs, parce que celui-ci y planta les arbres de son parc au terme d’une vie dont le brillant ne cache pas l’exaltation angoissée. Rigaut à l’ombre croisée d’un grand poète, lui qui ne sut y parvenir, et d’un dandy, lui qui s’y abîma de force et de fatalité. » Le 4 décembre, veille de sa mort, Jean-Jacques Lévêque consacra son dernier post intitulé « Eluard le temps de l’amour » à un poème de Paul Eluard dédié à Nush, l’égérie et femme du poète.



« 16h35 - Rigaut posthume -
Dandy oui, et le suicide pour destin. C'est l'histoire de Jacques Rigaut, personnage emblématique de la mythologie surréaliste. Il a peu écrit, mais intensément, dans l'absolue nécessité de "se dire" (mais aussi de manifester une dose d'humour exemplaire). C'est toute la question de l'écriture. Elle ne peut se résumer à se raconter quand c'est dans la banalité de ce que vit toute personne qui n'a que son destin en main et une mesure banale de la vie.
Elle peut toutefois sortir celui qui la pratique de ses angoisses. Celui qui écrit brise la glace qui l'enserre dit, quelque part Kafka, pour se trouver. Il faut que l'écriture de l'intime soit aussi celle de l'exceptionnel et d'une qualité qui est aussi celle de l'art. Une écriture qui colle à la vie de celui qui en fait un usage comme s'il s'agissait d'une arme. On le sait, l'écriture peut être une arme, elle est aussi un destin.
Pour en savoir plus sur Rigaut, aller à : rigaut.blogspot.com dont est extrait la photo montrant Rigaut en compagnie de Tristan Tzara et André Breton. » (Jean-Jacques Lévêque, post du 27 juillet 2009)


29.12.11

Une descente sans retour


Ukrainia, coal mines in Donbass, 1500 meters
in the underground by Arsen Savadov

"Délire subjectif, dites-vous. ou bien fiction interminable : nous inventons nos archives autant que l'auteur s'invente, s'invente comme un geste, une manière, un style sur quoi il met son nom, s'il le veut, mais qui toujours fait signe vers plus ancien, plus enfoui, plus archaïque. Vers ce que l'archive au singulier ouvre à travers le pluriel des archives : un souterrain le long duquel les documents lentement se fondent dans les parois de ce boyau qui descend plus profond dans la terre. L'archiviste devient mineur, puis spéléologue. Il passe des siphons, descend des puits sur de minces échelles de corde, une lampe fixée sur le front et dont la lumière vacille. Parfois sur une paroi se fait voir un dessin, une encoche, et parfois c'est l'archiviste qui inscrit ses propres traces, celles de son enquête, à moins qu'il ne devienne lui-même le témoin osseux d'une descente sans retour. Un autre viendra demander : qu'est-il arrivé? qu'avait-il trouvé? d'où lui était venue passion si pénétrante?"

(Jean-Luc Nancy, Où cela s'est-il passé?, IMEC éditions, novembre 2011)

23.12.11

Le deuxième oeil



Vincent Maisonobe m'envoie ce document étonnant : une version de l'Oeil cacodylate réalisée par Delaunay. On retrouve entre autres Jacques Rigaut parmi les signataires. Une reproduction de cette oeuvre a été publiée dans la revue "Der Sturm", dernière publication de Dada à Paris, imprimée à Berlin en mars 1922. Selon Fabrice Lefaix, l'exégète de l'Oeil de Picabia, si la graphie diffère pour chaque signature, il s'agirait d'un signataire unique qui s'est amusé à signer pour tous. Joyeuses fêtes à toutes et à tous.

19.12.11

Les Fumées de New York



Le 6 juillet 1923, Rigaut a probablement assisté à la désastreuse soirée du "Coeur à barbe" qui marque la scission définitive entre dadaïsme et surréalisme. Lors de cette soirée, plusieurs films ont été projetés dont "Les Fumées de New York" de Charles Sheeeler et Paul Strand. Pour J.R., il s'agit là d'un avant-goût de sa vie future outre-Atlantique. On imagine facilement sa fascination devant les images impressionnistes du film.