31.3.10

Mise en scène




Définitivement, les photographies de Man Ray méritent une observation attentive (voire un agrandissement) qui souvent révèle des détails surprenants que personne jusqu'alors n'avait remarqués. Sur cette célèbre image du groupe dada, Tristan Tzara tient dans sa main gauche un pistolet dont le canon est braqué vers la tête de Rigaut.

30.3.10

Evelyn & Robert



"On May Day, just after leaving her fiancé, 23-year-old Evelyn McHale wrote a note. 'He is much better off without me ... I wouldn't make a good wife for anybody,' ... Then she crossed it out. She went to the observation platform of the Empire State Building. Through the mist she gazed at the street, 86 floors below. Then she jumped. In her desperate determination she leaped clear of the setbacks and hit a United Nations limousine parked at the curb. Across the street photography student Robert Wiles heard an explosive crash. Just four minutes after Evelyn McHale's death Wiles got this picture of death's violence and its composure."(Girl jumps to death from Empire State Building, magazine Life du 12 mai 1947, p. 43)

29.3.10

MARION



"Lorsque l'enfant était enfant,
il ne savait pas qu'il était enfant,
tout pour lui avait une âme
et toutes les âmes étaient une.

Lorsque l'enfant était enfant,
ce fut le temps des questions suivantes:
pourquoi suis-je moi, et pourquoi pas moi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?
Quand commence le temps et où finit l'espace ?
La vie sous le soleil n'est-elle pas un rêve ?
Ce que je vois, entend, sens, n'est-ce pas simplement
l'apparence d'un monde devant le monde ?
Le mal existe-t-il vraiment et des gens
qui sont vraiment les mauvais ?
comment se fait-il que moi, qui suis moi,
avant de devenir, je n'étais pas,
et qu'un jour moi, qui suis moi,
je ne serai plus ce moi que je suis."

(Peter Handke)

25.3.10

Sainte Mireille


Mireille Havet en 1927


Mireille Havet en 1931



Claire Paulhan publie le quatrième tome du magnifique Journal de Mireille Havet, qui témoigne d'une lente mais vertigineuse descente aux enfers de la « petite poyétesse » d’Apollinaire, méthodique et lucide organisation d'un suicide social (refus radical des conventions) et physique (polytoxicomanie effrénée): “Pas d’argent. Pas de rémission. Pas d’amis. Pas d’explication possible à leur donner qui, désormais, justifie que cet état se prolonge, du reste, et que je sois toujours empêchée de gagner normalement ma vie. Je ne suis plus un enfant qui attire la compassion et un intérêt attendri. Comme les autres, seule comme les autres, un cas entre des millions, sans autre singularité qu’un glorieux et étincelant début et une fin lamentable, complètement anonyme et obscure pour tout ce même monde qui, à 15, 16, 17 et jusqu’à 25 ans même, attendait de moi son divertissement intellectuel principal, m’accordait du génie et, en échange, me promettait une gloire sans précédent. (...) Progressivement, je le répète, comme un rouleau compresseur qui avance, ne connaît aucun obstacle et fait lentement son travail d’heure en heure, la morphine a tout détruit, tout sapé, tout anéanti, et j’ai tout perdu, mon amie, son argent, nos maisons, ma confiance, ma santé, mes années, mon talent, mon courage, ma fraîcheur, l’amour, même l’amitié, la poésie qui s’est retirée de moi comme la mer abandonne un rocher trop ingrat et qui, désormais, déchiqueté, rude, délaissé, presque effrayant dans son isolement dès lors éternel, s’élèvera seul des flots, sans oiseau et sans graine, sans terre surtout pour qu’y germent les graines apportées des oiseaux, sans rien à l’infini et dans l’Eternité que le ciel et la mer, tout deux aussi distants et aussi éloignés de lui.
J’ai tout perdu, ma vie, mon instinct de vivre, ma répugnance du mal, mon goût de me soigner. La morphine, cette écharde invisible du début, est devenue le poignard, la hallebarde qui, à travers mon corps, a transpercé mon cœur et m’a tuée, m’a clouée au sol le plus bas, à la terre boueuse où l’on m’enterrera… enfin ! La morphine, et sa sœur la cocaïne, et l’héroïne son aînée, sept fois plus dangereuse et toxique qu’aucun des poisons, ont peu à peu tout remplacé et maintenant me restent seules.
Comment voulez vous que, n’ayant plus rien, je n’aie pas fait le pacte du diable, de l’âme vendue, avec mes pires ennemies ? C’est pour les acheter que je donne mes derniers billets, que j’emprunte, mendie à n’importe qui. Je vendrai sans doute tout pour cette unique et dominante dépense qui me détruit, comme le vitriol dissout le squelette même de l’homme et ses bagues, car même tous les métaux sont détruits par lui et son acide inguérissable et brûlant.»

Mireille Havet est morte le 21 mars 1932 à Montana en Suisse dans le même sanatorium où son ami René Crevel avait séjourné. Elle sera enterrée au cimetière de Montana. Au fil du temps, sa tombe disparaîtra dans l'anonymat.

20.3.10

Porter la main sur soi




"L'arme braquée par le suicide contre la vie en a toujours raison. Nuls débris, nulles ruines ne peuvent subsister après le passage de cette volonté qui brûle de tout détruire. Mais un tel attentat laisse entière la force de celui qui l'a commis.[...]" (Paul Eluard à propos de Jacques Rigaut)

8.3.10

Mark Linkous (1962-2010)




From the Linkous Family: "It is with great sadness that we share the news that our dear friend and family member, Mark Linkous, took his own life today. We are thankful for his time with us and will hold him forever in our hearts. May his journey be peaceful, happy and free. There’s a heaven and there’s a star for you." - March 6, 2010






"Cheveux fous, lunettes épaisses et démarche claudicante. Mark Linkous n'a pas vraiment changé depuis sa dernière venue à Paris, il y a trois ans. A peine remarque-t-on le sillon de ses rides un peu creusé. D'allure voûtée, l'homme qui se cache derrière Sparklehorse rassemble en lui seul deux styles antinomiques. Le bûcheron au volant de son pick-up croise l'intello hypersensible amateur de poésie et de musique abstraite.

Cloîtré. En quatre disques et près de dix années de rock taciturne, Mark Linkous est devenu une référence discrète et crédible, que l'on débusque au gré d'albums importants. Il a travaillé avec Christian Fennesz, producteur d'une electronica cérébrale. Il a finalisé le dernier disque de Daniel Johnston, l'homme aux huit cents chansons et autant de séjours en hôpital psychiatrique qui chante depuis vingt ans l'amour perdu de Laurie, cette adolescente partie avec un employé des pompes funèbres. Mark Linkous a tourné avec The Flaming Lips. Il est aussi (et surtout) resté cloîtré chez lui, en Virginie, dans cette ferme qu'il occupe avec sa femme Teresa, où deux chevaux côtoient des chats, des lapins et le chien Barko. Enfermé dans sa chambre, au fond de son lit, sans rien faire durant trois ans.

Dreamt for Light in the Belly of Mountain, le quatrième album, clôt une demi-décennie durant laquelle Mark Linkous n'a pas touché terre. Ou très peu, lors de ces rares collaborations en marge de Sparklehorse. Voilà pourquoi le disque flotte et délaisse les balises folk et country qui jalonnaient Good Morning Spider en 1999, ou It's a Wonderful Life, en 2001.

«Submergé». Plus aérien, sans être aéré, d'une mélancolie dénuée d'afféterie, Dreamt for Light... révèle une pop ouvragée aux voix serties d'effets. Précipité sensible d'une rémission : «Il m'a fallu du temps pour reprendre pied. Durant cette dépression, j'étais incapable de composer, d'écouter de la musique, ou même de lire un bouquin. J'ai passé des mois au fond du trou. Le 11 septembre m'a beaucoup affecté : voir mon pays s'enfoncer dans la bêtise avec l'administration Bush aux commandes m'a donné l'impression d'être perdu.C'est arrivé à un moment où j'étais déjà très affaibli : beaucoup de personnes autour de moi sont mortes, des amis très proches ou des membres de ma famille. Je me suis senti submergé, j'avais l'impression que tout le monde devenait fou. Faire de la musique n'avait plus aucun sens.»

Mark Linkous est un habitué des accidents de parcours. Il y a dix ans, une chute dans un escalier, un soir de bringue, l'a collé dans un fauteuil roulant pendant des mois. Il a fallu réapprendre à marcher, s'appuyer sur une canne et accepter de porter à vie une attelle à la jambe. Cette fois, la sortie de crise s'est imposée d'elle-même : «N'ayant plus d'argent, je ne pouvais même pas payer mon loyer. Mon manager m'a envoyé des disques pour que je me remue. Dans la pile, il y avait The Grey Album, de Danger Mouse. J'ai adoré et l'ai appelé. Il m'a alors avoué être fan de Sparklehorse.» La rencontre avec l'un des producteurs hip-hop les plus en vue du moment (Gnarls Barkley, c'est en partie lui) l'oblige à quitter le lit : «Il s'est pointé chez moi et je ne savais pas quoi lui dire. Il a pris possession de mon studio, on a ressorti des vieilles chansons et on s'est mis au boulot. J'ai alors commencé à me dire que j'étais peut-être capable de refaire de la musique.»

Au total, Danger Mouse a produit quatre titres de Dreamt for Light... Il y a Getting It Wrong, comptine minimaliste où Linkous, comme à son habitude, chante à travers un microphone d'enfant. Il y a aussi Don't Take my Sunshine Away, qui ouvre l'album sur des grésillements amnésiques, ou Return to Me, «très difficile à chanter en public, parce qu'elle exprime tant de peine qu'elle en paraît impudique».

Ravalement. Pour les autres titres, Linkous a souvent travaillé seul, notamment sur Some Sweet Day («écrite pour ma première petite amie, morte il y a deux ans»), avant de s'entourer de Dave Fridmann, producteur de Mercury Rev et de Low, et, pour une chanson, de Tom Waits au piano : «C'est la première fois qu'on jouait ensemble. J'avais l'impression de faire un voyage dans le temps.» Précisément à la fin des années 80 quand ce fils et petit fils de mineurs monte à 20 ans un premier groupe, The Dancing Hoods, avec pour modèle Swordfishtrombone, de Tom Waits. Linkous tente sa chance du côté de Los Angeles, puis rentre à la maison et se convertit au ravalement de façades dans une entreprise du bâtiment.

Elevé au bluegrass et à la country, fan de Johnny Cash puis des Sex Pistols, fondateur de Sparklehorse en 1995 au côté du discret Scott Minor, Mark Linkous garde cet attachement à la terre que l'on retrouve dans les romans de Chris Offutt ou Larry Brown. Une manière de s'ancrer les pieds au sol, quand la tête, entre désillusion et peur panique, aurait tendance à dériver : «Je ne peux pas me dire à jamais guéri. Je sais qu'au fond de moi, l'équilibre demeure fragile. Mais je sais aussi qu'en ce moment les choses vont de mieux en mieux. Et je me mets des coups de pied au cul pour que cela continue.»

MASI Bruno / Libération / 2006

6.3.10

Pierre Ubu



"De tous ces gens qui prétendent m'aimer, de ces petites amies, de ces amis, de ces camarades, est-il un seul être qui soit capable de me retenir sur terre, qui ait vraiment besoin de moi et pour qui ma mort serait une mutilation irréparable? La réponse est négative, impitoyablement négative, et pourtant la certitude que nous sommes là pour quelqu'un serait la seule force capable de nous arracher au petit oeil noir, rond et méchant qui, à la fin du Feu follet, fixe le coeur d'Alain dans une éblouissante éternité." (Le défi, Gabriel Matzneff)


Drôle de justice : d'un côté elle laisse en liberté un psychopathe "connu des services de la police" qui a fini par tuer sa conjointe et de l'autre elle menace de prison un ami écrivain à cause de propos publiés sur son blog au sujet de l'affaire Perret/ Léautaud. Je n'ai jamais été sensible à la poésie mièvre et bien-pensante de Pierre Perret. Cette affaire me conforte dans mon opinion à propos de l'auteur du Zizi.... et j'apporte évidemment mon soutien à Bernard Morlino qui risque tout de même la zonzon et une forte amende. Le plus révoltant est le silence assourdissant du monde des Lettres qui souvent se drape dans l'indignation pour moins que ça. Quelques-uns heureusement dénoncent le caractère ubuesque de cette affaire comme Pierre Assouline ou Jérome Garcin. Les dadaïstes qui avaient demandé la peine capitale pour Maurice Barrès et craché sur le cadavre d'Anatole France seraient derrière les barreaux aujourd'hui.