31.7.09

Droit au coeur


Georges Simenon et sa fille Marie-Jo


"La plupart des gens qui ont décidé de se donner la mort à l'aide d'une arme à feu se tirent une balle dans la tempe ou dans la bouche. Tu devais t'être bien renseignée sur la position exacte du cœur car c'est celui-ci que tu as visé en n'ayant besoin que d'une seule balle". (Georges Simenon évoquant le suicide de sa fille)

19.7.09

H.R.




A ma connaissance, la ville de Lausanne n'a jamais rendu hommage à l'un de ses plus célèbres natifs : Arthur Cravan, le poète aux cheveux les plus courts du monde et neveu d'Oscar Wilde. Il faut dire que le poète du scandale n'a jamais porté un grand intérêt à sa ville natale qu'il évoque tout de même dans son autobiographie : "A Lausanne, je passais avec succès les examens qui devaient également m'ouvrir les portes du Collège Cantonnal. Les épreuves ne devaient pas être bien sévères car placé devant une carte de la Suisse, et tant j'étais ignare, je ne fus jamais foutu de découvrir le lac de Neuchâtel." En revanche, la capitale du canton de Vaud a récemment consacré une belle exposition à un de ses autres natifs excentriques : Henri Roorda (1870-1925). Ce mathématicien, originaire de Hollande, est né aux bords du Léman suite à l'exil en Suisse de son père, un fonctionnaire à la retraite, disciple et ami de l'anarchiste français Elisée Reclus. Son fils Henri Roorda reprendra le flambeau libertaire comme professeur de mathématiques au Collège de Lausanne en s'érigeant contre le formatage des jeunes élèves, prônant une éducation ouverte et anticonformiste et écrivant un pamphlet contre l'école autoritaire et lieu d'apprentissage de la docilité : "Le pédagogue n'aime pas les enfants" (1917). L'iconoclastie du professeur ne se limite pas aux salles de cours, il écrit aussi des chroniques drolatiques et irrévérencieuses dans la presse suisse sous le pseudo de Balthasar et réalise quatre Almanach Balthasar où le lecteur retrouve ses billets humoristiques mais également des textes d'Alphonse Allais, de Jules Renard, de Georges Feydeau ou de Tristan Bernard. Au début des années 20, le pessimisme joyeux de Roorda se transforme en amertume, endetté et lassé d'une vie qui lui apporte plus de déplaisirs que de joies, il songe sérieusement au suicide. A l'instar d'Edouard Levé, quelques semaines avant le geste fatal, il écrit son livre ultime, confession bouleversante d'une inadéquation à notre monde où il s'explique de sa décision : "Il m'était impossible de ressembler à ces êtres prudents, patients et prévoyants qui dès l'âge de vingt ans font des provisions pour leurs vieux jours. Pour moi, la vie normale c'est la vie joyeuse. L'individu déraisonnable que je suis ne veut pas tenir compte de toutes les données du grand problème. Je n'étais pas fait pour vivre dans un monde où l'on doit consacrer sa jeunesse à la préparation de sa vieillesse. (...) Je n'ai plus peur de l'avenir depuis que j'ai caché dans les ressorts de mon lit un revolver chargé. (...) J'aime énormément la vie. Mais, pour jouir du spectacle, il faut avoir une bonne place. Sur la terre, la plupart des places sont mauvaises. Il est vrai que les spectateurs ne sont en général pas difficiles. (...)Le moment de mon suicide approche. Je suis tellement vivant que je ne sens pas les approches de la mort. (...) Je me logerai une balle dans le coeur. Cela me fera sûrement moins mal que dans la tête. (...) Il faudra que je prenne des précautions pour que la détonation ne retentisse pas trop fort dans le coeur d'un être sensible." Le 7 novembre 1925, Henri Roorda, à l'âge de 55 ans, se tire une balle dans le coeur. La veille il écrit un billet à un ami : "J'ai tout usé, en moi et autour de moi; et cela est irréparable. Adieu. H.R." Un mois après, son livre posthume paraît en une brochure agraphée à 70 exemplaires avec ce sobre titre : Mon suicide. La presse lausannoise rendra hommage à son professeur en évoquant une "effroyable neurasthénie" et une "mort subite". On dénombra huit personnes à son enterrement.

Quelques nouvelles du front rigaltien : ai trouvé chez un libraire d'anciens un étonnant document qui vient apporter un nouvel éclairage sur les derniers mois de la vie de J.R. Faire de telles trouvailles au stade de mon travail relève du miracle. J'espère en faire d'autres avant le point final.




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6.7.09