10.3.09

Le noir était sa couleur

Accueil à la chapelle du cimetière des Rois

Tombe de Grisélidis Réal

Tombe de Grisélidis Réal

Tombe de l'écrivain argentin José Luis Borges

Grisélidis Réal


L'écrivain suisse Grisélidis Réal est décédée en 2005, à l'âge de 75 ans. Elle consacra sa vie à la défense et à la reconnaissance des droits des "travailleurs et travailleuses du sexe" et à lutter contre l'hypocrisie générale face à la prostitution. Sa dernière volonté (ou dernier pied de nez) d'être inhumée au prestigieux cimetière des Rois à Genève n'avait pas été respectée. Il faudra attendre le 9 mars 2009 pour que ses cendres soient enfin exhumées du cimetière du Petit-Saconnex et transférées au Panthéon genevois. Une reconnaissance tardive de la part de ses compatriotes qui n'a pas été appréciée par quelques notabilités locales et bien-pensantes. La reine des putes dans un cimetière de Rois, ça fait désordre dans le très lisse cimetière helvète qui habituellement n'accepte que des femmes de... Le jour du transfert des cendres, le quotidien la Tribune de Genève titrait en Une "La colère gronde", comme si une foule de féministes hystériques allait déferler sur le cimetière. Prudentes, les autorités avaient même prévu quelques policiers au cas où ça tournerait mal. La cérémonie se déroula finalement dans le calme et l'émotion devant environ 200 personnes qui écoutèrent attentivement les témoignages de ceux qui avaient connu celle qui fut avant tout une femme de lettres (et de coeur), dont entre autres l'ami écrivain Jean-Luc Hennig mais aussi son dernier éditeur Yves Pagès. Puis, sous un ciel pluvieux, les cendres furent descendues en terre accompagnées de quelques roses, à une dizaine de mètres de l'endroit où reposent les restes de l'écrivain argentin José Luis Borges. Une rencontre posthume qui faillit ne pas avoir lieu puisqu'à l'initiative des autorités argentines, la dépouille du célèbre écrivain devait subir également un transfert dans son pays d'origine. La polémique fut de courte durée, Borgès pourra continuer à reposer en paix aux côtés de la "putain révolutionnaire", une compagnie qui ne doit pas lui déplaire. Parfois, les vivants font bien rire les morts.


Avant de mourir, Grisélidis Réal avait écrit son propre éloge funèbre :

"En écoutant de la musique (sud américaine) et du Chianti à portée des lèvres. Et d’abord, je vous interdit de pleurer !! Riez, oui, souriez, gueulez, ou taisez-vous à cette évocation de cette vie qui fut mienne et qui restera, à jamais, enterrée… l’heure venue. Oui j’ai vécu, et j’ai surtout CREVE, bien avant l’heure, de tout : crevé de faim, de l’absence de père, d’une mère trop sévère et pourtant trop aimante, crevé de tuberculose, d’échecs scolaires, d’angoisse devant la police, des marches la nuit pour trouver du fric, crevé d’amour (oh mes amours ratées, assassinées par la morale, par la soif immense du manque de l’autre et de soi-même, mutilées par l’inconnaissance…). Oui j’ai eu quatre enfants, par hasard car à l’époque la pilule n’existait pas, et j’ai été onze fois enceinte, et toutes les larmes du monde ne ressusciteront pas ces pauvres embryons innocents massacrés à coup d’avortements et de fausses couches plus ou moins officiels et sanglants, le dernier en prison. Qu’on me pardonne : la planète est déjà surpeuplée, 40’000 enfants meurent chaque jour de faim ou de mauvais traitements, sauvez-les donc au nom de Dieu !! Ce Dieu auquel je ne crois plus, il y a trop d’horreurs, de guerres, de tueries… Moi qui ai 70 ans, qui vais donc bientôt crever d’avoir trop crever, et trop vécu sans doute… Trente ans de prostitution, ça marque, ça use le corps et l’âme et vous donne pourtant un immense amour de la vie, et du respect humain des souffrances de l’Autre, de sa solitude, de son désespoir d’être privé de femme et de tendresse, de ses propres échecs qui rejoignent les vôtres, et si l’Au-delà existe, je souhaite y danser sur des musiques tziganes, boire des alcools merveilleux, et retrouver mes hommes, ceux que j’ai aimés, ceux que j’ai haïs, aidés, soulagés, espérés, attendus, refusés, réconfortés et portés par dessus tous les préjugés, les tabous, les hypocrisies de cette morale malade et inhumaine dont je n’ai pas crevé, je m’en suis simplement évadée vers plus de liberté au péril de ma vie. AMEN "


Reportage vidéo :

Témoignage de Jean-Luc Hennig


Témoignage de Yves Pagès




Inhumation