6.11.07

La dernière nuit (2)





Le lendemain à midi, une infirmière de la clinique le trouve étendu sur son lit, un revolver à ses côtés et une règle avec laquelle il mesura méticuleusement l’endroit du cœur. Un oreiller pour amortir la détonation et un drap de caoutchouc pour éviter les taches : « J’avais armé le chien, je sentis le froid de l’acier dans ma bouche. » Jacques Porel prévenu du suicide de son ami se rend après de lui : « Il était très beau sur son lit. Calme et simple. Sur son visage, l’expression de celui qui a, enfin, atteint l’étape ou qui a trouvé la solution au problème. Il avait l’air de me dire : - Pardonne-moi, mon Coco, mais c’était si fatiguant de vivre ! Souvent, je pense à lui. Il m’arrive même de le voir, la nuit, quelque part, dans l’air…Et qui me fait des signes, de grands signes d’amitié. » On trouvera à côté du lit de Rigaut, dans une valise soigneusement rangée, une liasse de manuscrits. En 1931, Raoul de Roussy de Sales et Théodore Fraenkel envoient des bulletins de souscription pour financer une publication des écrits de Rigaut, sans succès. Il faudra attendre 1934 pour que paraisse aux éditions « Au sans pareil » Papiers Posthumes de Jacques Rigaut : « Splendeur de ma voix qui s'élève seule, seule, dédaigneuse de toute oreille, faite pour aucune (...) Je frémis au sommet du mot seul, sur une limite aussi pathétique que le tournoiement du derviche hurleur, ou du chancellement du boxeur avant qu'il s'écroule, ou de l'avion qui pique en flammes. »
("Salut à Jacques Rigaut", NRF, octobre 2004)