22.12.05

Matricule 671




Ai (enfin) consulté ce matin le dossier militaire de J.R Très ému, lorsqu'en feuilletant son "livret matricule", je trouve coincée entre deux pages la plaque militaire de J.R! Cette plaque portée par les soldats de la Grande Guerre permettait d'identifier plus facilement les cadavres des "tombés au champ d'honneur"... ça vous paraîtra peut-être ridicule, mais j'ai longuement tenu cette plaque entre mes mains.
Je vous offre l'exclusivité de cette image. C'est mon cadeau de Noël. Joyeuses fêtes à toutes et à tous.


P.S. : suite à ce dernier post, reçu un mail de Bernard Morlino. Extrait : "La plaque. Pas besoin de dire que tu as peur d'être ridicule... Tenir la plaque c'est serrer dans ses bras J.R.
Merci d'exister."

Merci à toi Bernard.

20.12.05

La première traversée



Aller-retour au Havre. Dans le train, je reçois un texto de Charlotte : " Si Jacques est passé par ici, Jean-Luc repassera par là. Bon courage et bonnes recherches. Bisous." Le bureau de l'association French Lines qui conserve les archives de la Compagnie Générale Transatlantique se trouve dans la zone portuaire du Havre. Effectivement J.R est passé par ici, la valise pleine... pour embarquer sur l'un des 11 paquebots de la compagnie. Le 17 novembre 1923 exactement. Dans les archives, je retrouve même l'heure d'embarquement... Les informations du Havre recoupent celles que j'ai trouvées à New York. J'éprouve une joie silencieuse à pouvoir ajouter quelques pièces au puzzle... Dans le train du retour, épuisé, je sombre dans les bras de Morphée.

Ai reçu un mail très touchant de O.


"je me méfie beaucoup des compliments, vous aussi très certainement, mais à quatre heures du matin - les deux dernières passées avec le tendre JR et toute votre ferveur - je tenais tout de même à saluer sincèrement votre travail.

merci.

le web, vous l'aurez remarqué sans moi, est une telle mare que l'on se retrouve presque étonné d'y trouver des choses justes.

je ne sais plus déjà par quels chemins j'ai découvert votre "blog".
la tristesse, je crois.

une photo dans la tête - Rigaut, Tzara, Breton - c'est cette photo parue dans le merveilleux petit bouquin de Marc Dachy sur Dada, vous savez : Rigaut rêveur et vrai - Tzara mobile, hors de sa propre image, échappé - Breton superbe et hiératique, qui pose.

à des moments très durs il y a des mots de Rigaut qui m'ont peut être sauvée. ironie suprême ?
"se passer la main sur le visage, la crainte angoissée de n'y plus trouver ni nez, ni bouche, tous traits effacés comme sur un dessin..."

et vous, cette nuit, vous êtes là, vous donnez à lire le cheminement difficile, passionné de votre enquête, une enquête nécessaire et puis vous me rassurez follement.

j'ai 24 ans. je méprise l'université française, que je ne connais pas, que je ne veux pas connaître.
il paraît que la littérature s'étudie - il paraît également que j'écris un mémoire de maîtrise sur le sublime insaisissable Arthur Cravan.
un an déjà que Cravan me nourrit, me protège, m'amène à avancer - un an que je me dégoûte par avance d'oser le fixer dans le cadre accepté de quatre-vingt pages dactylographiées et notées.
et vous, vous respirez Rigaut, vous l'accompagnez fidèlement, vous l'écrivez et vous ne le défigurez pas pour autant...
je vous le dis encore : ça me rassure follement.

je n'ai pas d'idôlatrie béate ni pour Cravan, ni pour Rigaut, ni pour mes grands alliés Breton, Aragon, Péret, ou Desnos
mais j'ai peur, à lire des papiers ou à écrire une absurdité universitaire moi-même à leur sujet, de tomber dans le piège du mythe, de faire du Spectacle inutile (brasser du vent, en faire des têtes jivaro)
vous, vous écrivez l'homme Rigaut
cela me semble suffisamment rare pour mettre des mots de remerciements sur ces espèces de larmes qui me montent aux yeux en absorbant encore cette nuit son sourire, sa maison, sa vision, ses mots
et puis les vôtres qui accompagnent, au sens le plus noble du terme

voilà

je vous souhaite de très belles, très fructueuses heures de travail
de formidables découvertes, et de somptueuses bibliothécaires
tout cela est important...

bien à vous,

O."

13.12.05

Plein soleil


Jacques Rigaut ( photo inédite, sans date, probablement début des années 20)

Journée fructueuse. Ai trouvé chez un ayant droit, une minuscule photographie de J.R. qui m'avait échappée lors d'une première visite. Une autre règle d'or : revenir sur les lieux renfermant des archives autant de fois qu'il est possible d'y revenir. Scannée et agrandie, l'image devrait être magnifique. La photo est prise de l'intérieur d'une maison, J.R est debout (nu?) sur la terrasse ensoleillée tournant le dos à la mer, regardant l'objectif avec un léger sourire, Narcisse éblouissant. Plus tard chez Philippe Collin qui m'accueille avec beaucoup de délicatesse. Il me parle du tournage du "Feu follet", de Maurice Ronet avec lequel il passait des nuits blanches chez Castel. Tout le monde se relayait jusqu'à l'aube. Louis Malle voulait que Ronet arrive livide sur le plateau... Nous parlons de Bove, de Bram Van Velde et de Duchamp avec lequel il a réalisé plusieurs entretiens. Une belle rencontre.

Lu sur le blog de Pierre Assouline cette citation de Cioran. J.R. lui donne raison et tort en même temps, d'où l'importance d'une biographie, comme une suite logique...

« Il ne peut y avoir d'aboutissement à la vie d'un poète. C'est de tout ce qu'il n'a pas vécu que lui vient sa puissance. Plus le contenu de l'instant est nourri d'inaccessible, plus le poète est à même d'en exprimer la substance. La quantité de résistance que la vie oppose à la soif de vivre détermine la qualité du souffle poétique. L'expression se condense dans la mesure où l'existence nous échappe et le poids du mot est proportionnel au caractère fuyant du vécu. Eminesco, le plus grand poète roumain, est une des illustrations les plus probantes de l'échec qu'implique toute existence poétique. Sa vie n'est qu'une série de misères accompagnées par le pressentiment de la folie qui devait finalement les couronner. Raconter cette vie ne servirait à rien, du moment qu'elle était nécessaire, et du moment que les accidents heureux n'entachent aucunement sa pureté négative. Pourquoi faire l'histoire d'une fatalité, quand elle aurait été la même dans n'importe quelle situation du temps et de l'espace ? La biographie n'a de sens que si elle met en évidence l'élasticité d'une destinée, la somme de variables qu'elle comporte. Chez Eminesco, c'est la monotone idée de l'irréparable qui laisse prévoir dès les premiers vers ce qui devait suivre et qui rend inutiles les soucis biographiques. Ce sont les médiocres qui ont une vie. Et si on a inventé les biographies des poètes, c'est pour suppléer la vie inutile qu'ils n'ont pas eue »

9.12.05

Action!



Malgré ma procrastination récurrente de ces derniers jours, j'ai tout de même avancé un peu... Ai pris rendez-vous avec l'association French Lines qui conserve les archives de la Compagnie Générale Transatlantique qui assurait la ligne Le Havre-New York. J.R était un habitué de cette compagnie... Un petit voyage au Havre en perspective. Pris rendez-vous également avec Philippe Collin qui fut le premier assistant de Louis Malle pour "le Feu follet". Il a aussi réalisé de nombreux documentaires sur Dada. "Aux abois" avec Elie Semoun dans le rôle principal est son dernier film de fiction. Enfin calé un autre rendez-vous avec l'ayant droit dont les placards renferment des trésors... Je peux dormir tranquille.

5.12.05

Les anonymes



Martin Kay m'envoie d'Angleterre, l'édition anglaise (voir couverture ci-dessus) d'un florilège des textes de J.R. Un tirage de 300 exemplaires par Atlas Press (1993) L'anglomane Jack Rigow aurait adoré cette publication...

R. W. Fassbinder disait des films de Douglas Sirk qu'ils comptaient parmi les plus beaux du monde. Ayant vu récemment "Le Mirage de la vie", je lui donne raison. Ai retenu cette citation de Douglas Sirk qui m'a fait songer à l'obsession de J.R. pour les miroirs : "Il y a une expression en anglais que je trouve merveilleuse et qui à mon avis exprime la totalité de l'art ou au moins son langage : Voir à travers un miroir confusément. Cela veut dire que tout, même la vie, vous ait inévitablement ôté, on ne peut saisir ni même toucher cette impression, on ne peut atteindre que ses reflets, si vous essayez de saisir le bonheur lui-même, vos doigts ne rencontrent qu'une surface de verre, car ce bonheur n'a pas d'existence propre et probablement il n'existe qu'à l'intérieur de vous-même."

J'aurais aimé consulter les manuscrits de J.R exposés au centre Pompidou. Réponse laconique du commissaire de l'exposition : "Le collectionneur souhaite demeurer anonyme." Voici un extrait de ma réponse : "L'anonymat est une mauvaise raison. On peut rester anonyme en envoyant au chercheur une copie du manuscrit. Est-ce qu'il serait au moins possible que je photographie les pages des manuscrits exposés au centre Pompidou? Merci d'avance." Réponse du commissaire : "Je me renseigne et vous tiens au courant."

2.12.05

"En chair étrangère"


Louis Malle et Maurice Ronet sur le tournage du Feu follet

Vu cet après-midi chez Sophie le documentaire de Noël Simsolo "Jusqu'au 23 juillet". Ce documentaire a été diffusé sur Ciné Cinéma Classic après "le Feu follet" de Louis Malle. Un documentaire de 30 minutes environ où sont filmés les témoignages de Mathieu Amalric (émouvant lorsqu'il raconte sa première projection du Feu follet à l'âge de 15 ans), Didier Daeninckx (qui cite Blondin : "La lucidité prodigieuse de ce moribond de charme se heurte à l'atroce et séduisante muraille humaine. Dès lors, il erre en chair étrangère."), Pierre-Henri Deleau ("Il a tous les talents du monde" dit-il en parlant de J.R.), Louis Malle (très juste quand il parle de la jeunesse flamboyante qui est passée et le déclin qui s'en suit...) et enfin le témoignage d'un inconnu dont le nom n'est pas au générique (Alain Sarde d'après Sophie) qui raconte sa promenade avec Jean Eustache ("Il était fou de Jacques Rigaut") au cimetière Montmartre et leur découverte d'une "tombe abandonnée", celle de J.R.

Le secrétariat d'Alain Delon m'a répondu. Mon courrier lui a été transmis.